Le 11 Septembre a t organis par George W. Bush, l’attentat de Charlie Hebdo a t commandit par les Illuminatis et Franois Hollande… A chaque vnement sa version complotiste. Les attentats de vendredi soir ne font pas exception. Notre contributeur, le professeur Loc Nicolas*, nous explique pourquoi ces thories fascinent tant.
Comment fonctionne la théorie du complot? Concrètement, la démarche conspirationniste fonctionne sur la base d’une lecture, puis d’une mise en récit déterministe de « signes » et d’indices collectés çà et là, dans l’actualité immédiate comme dans un passé plus ou moins lointain. Et ceci, dans l’intention de mettre en lumière le passé et le présent, comme de prédire le futur.
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Ces théories ou explications du monde (et surtout ses événements les plus dramatiques) par le complot ont des origines diverses. Elles peuvent être religieuses, politiques, théologico-politiques et sont parfois fort lointaines. Les malheurs, les troubles et les crises que traversent les sociétés sont désormais forcément imputables à quelques « puissants » ou « grands ». On accuse les Américains, Israël, les Eurocrates, le G20, l’OMC et bien d’autres encore de vouloir tirer profit et/ou plaisir d’une manière ou d’une autre pour faire triompher un certain ordre mondial: le leur.
Depuis la fin du XVIIIe siècle, avec l’entrée dans la modernité, dans l’ère du sujet et de la critique, dans l’ère du soupçon également, ces théories ont bénéficié d’une dynamique nouvelle.
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Le complot juif: la première et la plus connue des théories
Le fait de prêter aux Juifs des projets démoniaques et destructeurs à l’égard des chrétiens (meurtres rituels d’enfants, profanation d’hosties, empoisonnement des puits…) ne date pas d’hier. On en trouve des traces dès le XIe siècle et même avant.
Le complot juif de domination du monde (que l’on trouve consigné dans les fameux Protocoles des Sages de Sion, faux grossier rédigé au début du XXe siècle) est à la fois la première et la plus connue des théories. Il a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses variations: complot judéo-maçonnique, judéo-communiste, judéo-capitaliste, etc. Dès lors, chacun se trouve en mesure de faire son marché en se fondant sur un très petit dénominateur commun, lieu de mille fantasmes.
« Ces théories répondent à un besoin de se conforter »
Il nous faut rappeler que l’adhésion aux théories en question -même si l’objet de l’adhésion nous déplait, nous offense ou nous inquiète- ne va pas sans raisons. Ces raisons ne sont pas forcément bonnes, acceptables, ni respectables d’un point de vue politique, mais viennent simplement donner carrière et conforter une certaine vision du monde, un certain ordre des choses.
Gardons-nous de regarder ceux qui y adhèrent comme des irrationnels ou des fous. En tout état de cause, les explications conspirationnistes répondent à un besoin d’ordre, de transparence et de compréhension. Les raisons qu’elles produisent viennent donner du sens à une situation pénible, sortir les événements du flou. Elles semblent rendre le monde un peu plus prévisible aux yeux de leurs adeptes. Mieux, elles répondent à un goût de l’intrigue et donnent le sentiment d’approcher (un tant soit peu) le dessous des cartes, les arcanes du jeu mondial, les secret de cabinets.
Mais encore, elles laissent prise à l’imagination, invitent à perpétuer la mise à jour des liens invisibles qui témoignent du fait que ce qui s’est passé, un drame quelconque, n’a pas eu lieu sans raisons. Inversement, lorsque que tout va bien, l’explication par le complot a du mal à courir. En effet, il n’est pas besoin de se rassurer, de se conforter, ni de trouver un sens qui ne manque à personne.
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« Sur Internet, on trouve les moyens d’alimenter ses doutes »
À l’heure d’internet et des nouveaux médias, la facilité et la rapidité d’accès à des données s’est considérablement accrue. Traité d’astrophysique, parchemins médiévaux, manuel de fabrication d’une bombe artisanale… On trouve sur internet ce que l’on veut y trouver, et souvent bien plus. Les théories du complot ne font pas exception à cette règle. Internet n’est jamais qu’un outil. Il ne s’agit pas de le diaboliser, mais de prendre acte d’une réalité afin de transmettre aux plus jeunes les instruments pour mener la critique des sources et des documents qu’ils ont devant les yeux, et pour les aider à argumenter leurs convictions autant qu’à les mettre en doute.
En tout état de cause, n’importe qui peut trouver les moyens (photographies, vidéos, documents écrits, récits, etc.) pour alimenter ses doutes et se lancer sur les traces du complot. Lorsque la motivation est là, il est facile de trouver dans la masse colossale des informations disponibles celles qui vont permettre, selon l’angle de vue ou en fonction de l’association d’idées qu’on en fait, de confirmer qu’il y a bien un complot ou de mettre en cause les thèses dites « officielles ».
>> Voir notre annuaire des sites « d’infaux »
« Du courage et des outils pour faire face au hasard »
Il faut apprendre à ré-apprivoiser l’incertitude, ne pas attendre une transparence excessive que le monde et les hommes ne sauraient offrir. Notre histoire est jalonnée d’événements imprévus, inouïs, inédits, surprenants, sidérants. Des événements qui, sans cesse, mettent en péril nos anciens cadres de pensée, d’interprétation, de lecture. L’effondrement de l’URSS est de cet ordre et les attentats du 11 septembre 2001 le sont également.
Il faut du courage, de l’audace et surtout des outils, langagiers notamment, pour faire face au hasard et à la puissance de l’imprévisible. L’un et l’autre déroutent notre entendement et fragilisent notre rapport à la réalité, aux autres et à nous-mêmes, parce que rien dans les événements de notre histoire ne permet vraiment d’anticiper l’ampleur des conséquences souvent dramatiques qu’ils portent.
Ces événements nous confrontent à une précarité qui n’est pas agréable. Une précarité, source de frustration et de ressentiment, qu’il n’est pas facile car elle témoigne de notre absence de toute-puissance, et de l’incapacité que nous avons à maîtriser les événements du monde.
*Loïc Nicolas est docteur en Rhétorique, chercheur à l’Université Libre de Bruxelles et coauteur des Rhétoriques de la conspiration (CNRS éditions, 2010).