Poursuivie par quatre associations pour incitation la haine raciale, la prsidente du FN s’est dfendue, transformant l’audience en une tribune politique. Le parquet a requis la relaxe. Reportage.
« Chaque jour qui passe, je suis l’esprit de résistance politique. » Tout sourire, Marine Le Pen fanfaronne mardi à la barre de la 6e chambre correctionnelle de Lyon. Pour rien au monde elle n’aurait raté l’audience dans le procès qui l’oppose à quatre associations – le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), l’Observatoire national contre l’islamophobie du Conseil français du culte musulman (CFCM), le Mrap et la Licra – qui la poursuivent pour « incitation à la haine raciale ». En cause, ses propos tenus le 10 décembre 2010 lors d’un meeting au parc de la Tête d’or.
Celle qui était alors en compétition avec Bruno Gollnisch pour la présidence du FN avait déclaré, au sujet des prières de rue musulmanes: « Je suis désolée mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’Occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça c’est une occupation du territoire ». Et d’ajouter: « C’est une occupation de pans du territoire, des quartiers, dans lesquels la loi religieuse s’applique, c’est une occupation. Certes, il n’y a pas de blindés, pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même et elle pèse sur les habitants. »
Un clin d’oeil à ses désaccords avec son père sur la Seconde Guerre mondiale
Dans une ambiance tendue – pas moins d’une dizaine de policiers sont disposés dans la salle où s’entassent pêle-mêle femmes voilées et sympathisants d’extrême droite – Marine Le Pen va se faire un plaisir de se défendre elle-même. Preuve qu’elle entend transformer l’épreuve judiciaire en démonstration de force politique, le tête de liste FN en Auvergne-Rhône-Alpes, Christophe Boudot, complètement extérieur à l’affaire, est assis, bien en vue, à ses côtés.
Après que son avocat Me David Dessa Le Deist a plaidé l’irrégularité du renvoi devant le tribunal correctionnel pour des questions de procédure, la présidente du FN lance tout de go: « on me fait un mauvais procès, je n’ai commis aucune infraction ». Oui, elle a évoqué l’Occupation nazie mais il ne s’agissait pas d’une « comparaison » mais d’un simple clin d’oeil au « conflit sévère » qui l’oppose à son père et à Bruno Gollnisch sur les références trop systématiques à la Seconde guerre mondiale. En 2005, la benjamine s’était en effet brouillée avec Jean-Marie Le Pen qui avait jugé l’Occupation allemande « pas particulièrement inhumaine ».
Aux militants frontistes, elle était venue dire, explique-t-elle, qu’il fallait plutôt parler « des problématiques d’aujourd’hui: l’occupation illégale des prières de rues » ou l’occupation de l’espace public « par des mafias, des trafiquants de drogue ». « L’Etat se refuse à faire appliquer la loi, c’est ça ma critique principale », minimise celle qui, l’espace d’une vingtaine de minutes, retrouve ses anciens habits d’avocate. S’il y a appel à la « discrimination », c’est « contre ceux qui ne respectent pas la loi ». « Dans ce cas, les juges ont du soucis à se faire », interpelle-t-elle le président du tribunal, Gérard Gaucher.
« Marine Le Pen a d’autres écrans pour parler politique »
Et de citer l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen selon laquelle « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». « Elle a dit que nul ne doit être inquiété pour ses origines », relèvera plus tard Me Henri Braun, avocat du CCIF, qui y verra un « lapsus révélateur ». Se plaçant en victime, Marine Le Pen assure qu’il lui est « extrêmement désagréable » de comparaître devant le tribunal et, en se tournant vers les parties civiles, dénonce des associations qui sont rien de moins que « le bras armé d’un pouvoir politique ».
Leurs avocats la soumettent à plusieurs questions éloignées du sujet: « quel lien faites-vous entre un dealer et un musulman? », « sur quels critères une personne peut-elle être identifiée, selon vous, comme musulmane? », « peut-on être une femme voilée et une bonne citoyenne française? ». A chaque interrogation, des murmures parcourent la salle, captivée. « Marine Le Pen a d’autres écrans pour parler politique », coupe court à la discussion le président du tribunal. De toute façon, la présidente du FN avait déjà fait avoir qu’elle n’avait pas l’intention « de répondre à un tribunal soviétique ». Si elle avait eu l’intention d’exhorter à la haine, « j’aurais été beaucoup plus hard. » Personne ne conteste ce dernier point sur lequel la prévenue conclut son show avant de quitter définitivement l’audience, snobant les plaidoiries des parties civiles.
Délibéré au 15 décembre
La salle se vide largement, aussi bien sur les bancs du public que de la presse. Alors que dans les couloirs, militants et opposants du FN s’invectivent, les avocats font valoir leur point de vue. Pour Me Matthieu Henon, le conseil du Mrap, « on vise une communauté dans son ensemble par l’un de ses symboles », la prière. Me Henri Braun pointe du doigt un autre propos tenu ce jour-là par Marine Le Pen au parc de la Tête d’or et selon lequel « politique et religion ne font qu’un dans l’islam ».
Ce qui constituerait un « appel indirect au meurtre ». Las, le procureur va rapidement doucher leurs espoirs. Selon le représentant du ministère public, les propos de Marine Le Pen sont « de nature politique » et « ne visent pas l’ensemble de la communauté musulmane ». Pour qu’il y ait incitation à la haine raciale, il faut une « exhortation claire et sans équivoque ». « Pouvez-vous en relever? », demande-t-il à la cour avant de requérir la relaxe. Jugement mis en délibéré au 15 décembre. Les régionales seront déjà passées.