L’insertion professionnelle des salaris atteints d’un handicap stagne en France, malgr les obligations des entreprises. Eric Blanchet, directeur de l’Adapt, passe en revue les scnarios possibles dans les dix ans venir.
Les années passent et les progrès patinent. L’insertion professionnelle des salariés atteints d’un trouble physique, mental ou psychique, progresse peu, voire régresse, alors que le chômage élevé exclut les plus fragiles. Leur taux d’emploi direct ne dépasse pas 3,1% selon les derniers chiffres de l’Agefiph, l’organisme paritaire en charge de la question.
Cet immobilisme est-il inéluctable? Pour dépasser la litanie des chiffres pessimistes, plusieurs acteurs du secteur – associations, entreprises, chercheurs – se sont penchés sur les scénarios probables d’ici à 2025. Quelles évolutions laissent espérer, à terme, une meilleure intégration? Y a-t-il des raisons de craindre un recul? L’analyse de l’étude par Eric Blanchet, directeur général de l’association Adapt, à un mois de la semaine pour l’emploi des personnes handicapées.
Comment est née l’idée de cette étude?
Nous avons l’impression de ne plus avancer sur le sujet de l’emploi et du handicap. Nous sommes loin d’atteindre le quota prévu par la loi de 6% de personnes handicapées dans les entreprises. Et le contexte économique complique les choses. Il est déjà difficile de faire baisser le chômage pour les valides, alors imaginez pour les autres. Analyser chaque année les chiffres de la précédente pour constater que rien ne bouge a montré ses limites. Il faut dépasser le court-terme pour se concentrer sur les scénarios possibles d’ici dix ans, en fonction des évolutions de la société. D’où différentes hypothèses, des plus ouvertes au plus constantes.
Laquelle vous semble la plus probable?
Celle de l’intégration dans l’emploi par la « seconde chance ». Etre victime d’un accident ou d’une maladie cause aujourd’hui une rupture brutale dans le parcours professionnel d’un salarié. On se contente de gérer l’exclusion qui s’ensuit, alors que la société devrait être capable d’offrir à chacun une possibilité de rebond. Cela passe par le développement de l’employabilité. Il faut mieux former les personnes handicapées pour que leurs compétences soient en adéquation avec les besoins des entreprises. Les nouvelles formes de travail, comme le télétravail ou le temps partiel, sont aussi des opportunités de fluidifier les parcours.
Certains scénarios sont nettement plus pessimistes.
Il y a toujours le risque d’un scénario catastrophe dans lequel rien ne bouge et les personnes handicapées retournent dans la marginalité. Promulguer des textes, comme l’objectif des 6%, sans volonté politique forte derrière, fait que l’on reste dans un statu quo et que l’on risque de régresser. Nous avons aussi émis l’hypothèse que deux mondes coexistent. D’un côté, des entreprises qui commencent à aller vers de nouveaux modes de management plus ouverts, qui valorisent l’autonomie et la diversité. Elles imaginent des organisations du travail plus adaptées, par exemple, à la prise en charge des maladies chroniques au travail. D’autres, au contraire, restent figées dans une vision traditionnelle, plus paternaliste.
Où en sont justement les entreprises dans leurs efforts?
Tant que la situation économique reste ce qu’elle est, il y a peu de chances que les recrutements progressent. D’autant qu’embaucher un salarié handicapé reste complexe en terme de démarches administratives. Les grandes entreprises qui ont signé des accords sur le sujet et disposent d’une mission handicap peuvent s’y atteler, mais c’est beaucoup plus compliqué pour les PME et les TPE. La réglementation effraie les entrepreneurs alors que c’est chez eux que réside le gisement d’emplois. Pour les organisations patronales, le sujet reste encore un peu optionnel. Et tant que l’on ne s’attaquera pas à l’accès des personnes handicapées à l’éducation et à la formation [80% n’ont pas le bac, NDLR], ces débats resteront très théoriques.
On en revient au manque de volonté des politiques…
Des politiques, mais aussi des citoyens. Ces derniers peuvent influencer les différents scénarios. Il n’y a qu’à voir comment des groupes agissent sur les questions environnementales. On peut imaginer qu’ils se mobilisent aussi pour faire valoir les droits des personnes handicapées, pour donner une meilleure visibilité à ces sujets. Des collectifs se montent déjà sur Facebook ou LinkedIn, hors des associations. Un déclic fera peut-être que cette population dite vulnérable et fragile revendiquera enfin la même place que les autres.