Le travail des joalliers

Les loups hurlent au loin. Entre les bouleaux enneigés, un tapis poudreux mène à une datcha. Çà et là, une lumière blanche fend l’obscurité, révélant les créations de Boucheron exposées dans des vitrines. C’est peu dire qu’au moment de lancer sa collection Hiver impérial, en juillet, la maison a sorti le grand jeu. Quelques jours plus tôt, les premières pièces de la collection Chaumet est une fête étaient présentées sur les carrousels du Musée des arts forains… La haute joaillerie se met désormais en scène de façon spectaculaire. « Les marques ne se contentent plus d’entreposer les pièces dans des vitrines classiques, confirme Michèle Heuzé, historienne du bijou. Le recours aux décors exceptionnels n’est pas nouveau, mais il se développe. » Le phénomène est favorisé par la généralisation des collections à thèmes, et l’adoption, en 2010, du calendrier de la haute couture. Depuis, lors des deux semaines consacrées aux défilés (en janvier et en juillet), la haute joaillerie dévoile ses collections à la presse et aux clients. Comme ce fut le cas à Paris, du 22 au 25 janvier. L’éviction des grands joailliers de la Biennale des antiquaires en 2016 n’a fait que renforcer le lustre de ces temps forts. « Il s’agit de partager un moment d’émotion. Cela permet au client d’associer la marque à un vécu, et pas seulement à un acte d’achat. »Cyril Cabellos, directeur de la communication chez Boucheron Chaque maison rivalise alors de mises en scène somptueuses. Après avoir planté un champ de blé sur la place Vendôme en 2016, Chanel déployait l’été dernier un univers marin, composé de voiles, de cordages et de pontons. « A travers ces présentations, nous sublimons nos collections », explique Marianne Etchebarne, la directrice marketing international horlogerie et joaillerie de la maison. « Il s’agit de partager un moment d’émotion, ajoute Cyril Cabellos, directeur de la communication monde chez Boucheron. Cela permet au client d’associer la marque à un vécu, et pas seulement à un acte d’achat. » De quoi, espère-t-on, l’inciter à franchir le pas, ce qui est parfois délicat quand les pièces affichent des prix à six zéros…  Autre option déjà expérimentée par Van Cleef, Chopard ou Bulgari : fairedéfiler les bijoux sur des mannequins. « Rien ne vaut le fait de les voir portés », estime Michèle Heuzé. L’influence de la mode est manifeste. La haute joaillerie lui emprunte ses formats, quelques célébrités et son côté grand spectacle. « La duplication des codes de la haute couture a commencé il y a quatre, cinq ans, quand celle-ci est revenue sur le devant de la scène », observe Thomas Mondo, conseiller en communication chez Elan Edelman. Lorsque le bijou ne défile pas, ce sont les vitrines qui se réinventent. En 2016, les créations de Pierre Hardy pour Hermès étaient dévoilées dans une installation circulaire signée de l’architecte Didier Fiuza Faustino. Gaia Repossi a, de son côté, confié à Rem Koolhaas le design de socles déplaçables – de grands cubes de verre jouant d’effets d’optique. « Nous présentons des bijoux avant-gardistes, il faut que le décor leur corresponde », soutient la créatrice.