Paris – Le prix Nobel de littérature Albert Camus, militant antitotalitaire et libertaire, connu pour sa critique féroce de l’idéologie communiste fut pourtant, brièvement, militant communiste, rappelle un ouvrage consacré à cet épisode peu connu de la vie de l’auteur de « L’Homme révolté ».
À la rentrée de 1935, porté par son « goût de la justice« , le jeune Albert Camus -il a alors 22 ans-, adhère à ce qui deviendra l’année suivante le Parti communiste d’Algérie (PCA), un parti satellite du PCF.
L’expérience, pour laquelle il s’était promis de « garder les yeux ouverts« , ne dépassera pas deux ans. Elle inspirera durablement la prévention de l’écrivain à l’égard de toutes formes de totalitarisme.
Jeune homme pauvre, habitant le populaire quartier Belcourt à Alger, où Européens de la classe ouvrière côtoient la population arabe, Albert Camus, influencé par son professeur de philosophie, Jean Grenier, rejoint le PCA en septembre 1935, racontent Christian Phéline et Agnès Spiquel-Courdille dans « Camus, militant communiste – Alger 1935-1937 » (Gallimard).
Dans une lettre (reproduite dans le livre), adressée à Grenier en août 1935, Camus écrit: « Vous avez raison quand vous me conseillez de m’inscrire au Parti communiste. » On sent pourtant que le jeune homme n’est pas dupe. « Dans l’expérience (loyale) que je tenterai, je me refuserai toujours à mettre entre la vie et l’homme un volume du +Capital+« , écrit-il.
Interrogé dans les années 1950 pour savoir s’il avait lu Marx, Engels ou d’autres auteurs marxistes avant son adhésion, Camus répond sèchement « non« .
Il n’a rien d’un militant modèle. Il se montre peu « orthodoxe« . Son activité au sein du parti consiste à allier son goût pour l’art et la culture à des actions d’assistance et de solidarité pour les plus démunis.
Il met sur pied le Théâtre du travail (avec lequel il signe six créations), devient secrétaire général de la Maison de la culture d’Alger. Albert Camus se montre soucieux du sort de la population « indigène« .
« On ne saurait parler de culture dans un pays où neuf cent mille habitants sont privés d’écoles, et de civilisation, quand il s’agit d’un peuple diminué par une misère sans précédent et brimé par des lois d’exception et des codes inhumains« , écrit-il en 1937, peu avant son exclusion du parti.
Farouchement anticolonialiste, le PCA, sous l’influence du Komintern, réoriente sa ligne et s’éloigne des nationalistes algériens. Le PC n’hésite pas à dénoncer aux autorités des militants nationalistes. Camus ne le supporte pas et le dit. A l’automne 1937, il est exclu du parti.
Longtemps après avoir quitté le PCA, en 1951, Camus écrit de nouveau à Jean Grenier et revient sur cette rupture. « Quelques-uns (des nationalistes algériens, ndlr), qui avaient échappé aux recherches, sont venus me demander si je laissais faire cette infamie sans rien dire. Cet après-midi est gravé en moi; je me souviens encore que je tremblais alors qu’on me parlait; j’avais honte; j’ai fait ensuite ce qu’il fallait. »