L’élection présidentielle truquée ou la rengaine de Trump et des républicains

Le candidat républicain ne cesse de dénoncer le risque d’une élection truquée. Rejeté par certains ténors de son parti, l’argument n’est pourtant pas nouveau dans les rangs du GOP.

A mesure que l’écart se creuse dans les sondages en faveur de Hillary Clinton pour la présidentielle du 8 novembre, Donald Trump multiplie les accusations de tricherie. La thématique de la fraude n’est pas nouvelle dans sa bouche. Il l’a déjà faite planer au cours de l’été, au moment d’un précédent décrochage dans les intentions de vote.

« Hillary Clinton aurait dû être poursuivie et devrait être en prison. Au lieu de ça, elle est en course pour la présidentielle dans ce qui ressemble à une élection truquée », tweetait-il le 15 octobre:

Rebelote le lendemain: « L’élection est absolument truquée par les médias malhonnêtes et orientés qui soutiennent Hillary la véreuse – mais aussi dans de nombreux bureaux de vote. »

« Bien sûr que de vastes fraudes électorales se produisent avant le scrutin et le jour de l’élection. Pourquoi les responsables républicains le nient-ils? Quelle naïveté! », a encore écrit le candidat, lundi.

Justifier sa défaite par une obscure conspiration n’est guère surprenant de la part de Donald Trump, coutumier des arguments complotistes. Le milliardaire fut l’un des plus acharnés propagateurs des doutes sur la naissance de Barack Obama. Le candidat avait également accusé de fraude son principal challenger dans le camp républicain au cours de la primaire. Le sénateur du Texas Ted Cruz, qu’il surnommait « Ted le menteur » avait « volé » sa victoire dans l’Iowa, selon le milliardaire.

Surveiller les bureaux « dans certaines zones »

Trump a même encouragé, le 1er octobre, ses partisans à aller surveiller les bureaux « dans certaines zones ». Expression codée de la part du champion du vote blanc qui pointe les quartiers défavorisés habités principalement par des Afro-américains et des Hispaniques.

L’intensification de ses accusations de fraude ont amené plusieurs ténors républicains à rejeter les attaques du candidat contre l’intégrité du système électoral, y compris Paul Ryan, président de la Chambre des représentants.

Un leitmotiv républicain depuis les années 2000

« Ces allégations s’intègrent pourtant dans un argumentaire développé de longue date au sein du parti républicain, relève Alix Meyer*, universitaire spécialiste des Etats-Unis. En 2008, le « modéré » John McCain lui-même avait accusé de tentative de fraude l’association Acorn, un groupe d’activistes démocrates qui menaient campagne pour encourager les minorités ethniques à s’inscrire sur les listes électorales ».

C’est après le très serré duel Bush/Al Gore que les républicains ont commencé à agiter le spectre de tricheries massives afin de justifier une modification des règles électorales dans les Etats. Avec, en arrière-plan, l’objectif de restreindre le vote des électeurs plus susceptibles de voter démocrate que républicain. La décentralisation de la législation électorale aux Etats-Unis leur a facilité la tâche.

Les enquêtes sur les fraudes lancées par l’administration Bush ont pourtant conclu à un résultat proche du néant: 86 cas d’irrégularités ont été relevés sur un total de 200 millions de bulletins de vote, selon Slate, et la majorité des condamnations concernait des électeurs ayant mal compris les règles d’admissibilité ou rempli de manière inexacte le formulaire d’inscription sur les listes électorales.

La question de l’identification des électeurs

Ce qui n’a pas empêché les républicains de s’appuyer sur ces quelques cas pour tenter de durcir les conditions de vote dans plusieurs dans les Etats sous leur contrôle. Par exemple en réduisant le vote par anticipation, précieux pour les salariés qui travaillent loin de leur domicile dans un pays où le scrutin a lieu un jour ouvré. Ou en exigeant la présentation de justificatifs avec photo afin pouvoir voter. Une manière de restreindre le vote des jeunes et des plus pauvres -plus nombreux parmi les minorités. « Le nombre d’Américains blancs en âge de voter dépourvus de carte d’identité est en effet de moins de 10%, alors qu’il est de 25% pour les électeurs Afro-américains », précise Alix Meyer.

L’argumentaire républicain s’appuie sur l’absence de carte d’identité aux Etats-Unis, « un pays qui s’est protégé d’un trop grand contrôle par l’État et a toujours refusé la mise en place d’un système généralisé », explique l’universitaire Jean-Eric Branaa sur le site The Conversation. La plupart des personnes qui vont voter présentent donc leur permis de conduire ou leur passeport comme pièce d’identité. Mais ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre, se présentent avec un justificatif de domicile, sans photo d’identité, donc. Le risque de fraude est toutefois limité puisque le nom de l’électeur est bien entendu confronté à la liste électorale.

Plutôt que de fraude, on peut donc bien parler de distorsion de la capacité de voter. « Le biais prend même un tour caricatural au Texas, relève Alix Meyer, où la liste des documents acceptés comme preuve d’identité inclut la License de port d’armes mais pas la carte d’étudiant ». Sauf que le phénomène concerne plus les électeurs potentiels du GOP que ceux du parti démocrate.

* Alix Meyer est l’auteur de Les Républicains au Congrès: la résistible ascension des conservateurs américain, PUR. 2015.