Euro 2016 – La victoire arrachée par l’équipe de France contre la Roumanie (2-1) a une valeur inestimable. Contrairement aux idées reçues, il est logique et souhaitable de mal jouer en ouverture d’un grand tournoi.
En football, le bonheur tient parfois à quelques secondes ou à un exploit individuel. La victoire de la France contre la Roumanie (2-1) repose sur les deux. La frappe sublime de Dimitri Payet a décidé, seule, du sort du match d’ouverture de l’Euro 2016. Sans elle, sans l’extase qui l’a suivie, sans la victoire qu’il a permise, nous passerions les cinq jours qui nous séparent de France – Albanie à méditer ce qui manque à l’équipe de France pour être digne de son statut de vainqueur potentiel de l’Euro. La liste de ces lacunes est longue :
L’équipe de France n’a pas été capable de maîtriser le rythme de la rencontre et de l’imposer à la Roumanie;
– Elle a été globalement trop peu capable de répondre à la pression collective des Roumains;
– Elle a elle-même défendu en reculant et concédé dix frappes;
– Entre l’arrêt ahurissant de Loris (3e) le but extraordinaire de Payet, elle a été lâchée par ses individualités, Griezmann et Pogba en tête, sortis en seconde période;
– Elle a manqué de réalisme sur ses occasions arrachées à la tension.
– Entre autres déceptions, les Bleus ont aussi subi les dix dernières minutes sur le plan physique. Les entrées de Coman, Martial et Sissoko, tous capables de proposer de gros défis athlétiques à leurs adversaires individuels, n’y ont rien changé. Une victoire roumaine n’était pas une hypothèse d’école.
En réalité, le scénario de France – Roumanie est, en tout point, idéal pour qui espère voir les Bleus poursuivre leur parcours jusqu’à la finale du 10 juillet. Une idée discutable infuse tous les discours à chaque ouverture du tournoi: le premier match conditionnerait la suite. C’est absurde, historiquement faux et statistiquement improbable.
C’est pourtant devenu une sorte vérité biblique depuis que, un jour de juin 1998, l’équipe de France a battu l’Afrique du Sud 3-0 au Stade Vélodrome de Marseille pour ouvrir sa Coupe du monde. Ce premier match abouti du Mondial en France avait balayé deux saisons de doutes et de matches sans promesse. Il avait été l’acte I d’une improbable épopée jusqu’au titre mondial. Il a créé une jurisprudence, goulument entretenue par les acteurs d’il y a dix-huit ans devenus consultants. France – Danemark (3-0), au début de l’Euro 2000, s’est chargé de transformer la jurisprudence en vérité indépassable.
Pic de forme en juillet
Cette vérité a très mal vieilli. Il est inutile de remonter très loin: à notre connaissance, la victoire aisée contre le Honduras (3-0) suivie d’une démonstration contre la Suisse (5-2) ont permis à la France de réaliser un excellent premier tour lors de la Coupe du monde 2014. L’histoire s’est arrêtée en quart de finale, contre l’Allemagne (1-0). Les Bleus avaient été excellents trop tôt.
Que l’équipe de France ait sorti les rames au Stade de France constitue un scénario plus porteur. Dans les grandes phases finales, il y a deux types d’équipe. Celles qui programment leur pic de forme pour créer la sensation au premier tour. Celles qui le programment pour la fin du tournoi – généralement les demi-finales. La Roumanie appartient à la première catégorie. La France à la deuxième. L’une des grandes surprises de la Coupe du monde 2014 avait été d’entendre le staff tricolore affirmer avoir programmé ce pic de forme pour le premier tour. En 2016, la dead line a été repoussée pour juillet. Les Bleus ne pouvaient pas être au top.
En 1984, 1986 et 2006, un début poussif avait été très utile
La génie français en matière de football, s’il existe, consiste à galérer au départ et à prendre confiance avec le temps. En 1984, l’Euro français avait débuté par une victoire arrachée au Danemark (1-0), grâce à un but chanceux de Platini à la 78e minute, après une partie très tendue sur tous les plans. Deux ans plus tard, Jean-Pierre Papin avait délivré la France contre le Canada, toute petite nation de football, en ouverture de la Coupe du monde 1986 (1-0), plus tard achevée sur une troisième place. Toute ressemblance avec France-Roumanie n’est pas fortuite. Les Bleus de la Coupe du monde 2006 avaient même débuté par deux nuls décevants contre la Suisse (0-0) puis la Corée du Sud (1-1). A l’arrivée, une finale de Coupe du monde perdue aux tirs au but.
Si contre-exemple il y a, il vient de l’Euro 2004 et de la victoire arrachée face à l’Angleterre (2-1) sur deux penalties de Zidane très tardifs. L’émotion renversante avait conforté les Bleus déclinants de 1998 et 2000 dans l’idée, fausse, d’une supériorité retrouvée. Ce risque-là ne concernait pas les Bleus de Didier Deschamps. France – Roumanie va les conforter dans l’ambition qui les anime et l’humilité qui construit sa progression. Il ne pouvait rien arriver de mieux.