Ankara – L’omnipotent chef de l’Etat turc Recep Tayyip Erdogan est-il vraiment diplômé d’université, comme le demandent ses opposants’ Cette question est explosive car en Turquie, sans justifier de quatre ans d’études supérieures, on ne peut prétendre à la présidence.
« Vous voulez que l’on fasse 10 millions de copies de ce diplôme pour l’envoyer aux adresses de tout le monde ‘« , a répondu lors d’une conférence de presse mercredi le porte-parole de la présidence Ibrahim Kalin, visiblement lassé de ce débat récurrent.
La question du diplôme de l’homme fort de Turquie est sensible : sans le précieux sésame, un citoyen ne peut pas occuper la magistrature suprême, selon la Constitution.
Alors que le débat battait son plein, le président Erdogan a reçu début juin en grande pompe son 44ème doctorat honoris causa, de l’Université Makerere de Kampala, la capitale ougandaise, où il était en déplacement.
Cette boulimie suscite l’hilarité de ses détracteurs qui mettent en cause l’authenticité de son propre diplôme universitaire. A titre de comparaison, le président américain Barack Obama n’a « que » six doctorats honoraires.
D’après sa biographie officielle, M. Erdogan a été diplômé en 1981, après quatre années d’études (bac+4), de la faculté des sciences économiques et administratives de l’Université de Marmara, à Istanbul, après un parcours en lycée professionnel formant des imams, dont il est particulièrement fier.
L’université en question, dont le recteur actuel, Mehmet Emin Arat, est un ancien camarade de classe du président, avait publié la photo du diplôme lors de la première élection présidentielle au suffrage universel, en 2014, à l’issue de laquelle, après trois mandats de Premier ministre, M. Erdogan avait été élu à la tête de l’Etat.
– ‘Nos oeuvres’, d’Erdogan –
Habitué des polémiques -il a récemment déclaré que les femmes sont « incomplètes » si elles rejettent la maternité-, M. Erdogan a balayé les critiques concernant son diplôme lors d’un discours le week-end dernier devant les nouveaux diplômés de la faculté de théologie de cette même université.
« C’est plutôt un président sans diplôme qui est incomplet« , ont répliqué des turques en colère sur les réseaux sociaux.
« Malgré toutes les explications et les déclarations qui ont été faites à ce sujet, certains veulent avec insistance relancer le débat. Quoi que vous fassiez, nos oeuvres parlent d’elles-mêmes« , a asséné devant un parterre acquis le président turc, qui utilise régulièrement la première personne du pluriel pour se désigner.
Toutefois le débat sur son diplôme ne cesse de revenir sur la scène politique alors que M. Erdogan cherche avec insistance, malgré l’hostilité de l’opposition, à renforcer ses prérogatives présidentielles, autre sujet de grande controverse.
« M. Erdogan n’a pas un diplôme d’université, mais de collège (premier cycle)« , c’est-à-dire bac+2 ou +3, d’un établissement qui n’a été rattaché à l’Université de Marmara qu’en 1983, soit après les études du président, a affirmé mercredi l’Association des professeurs d’université (Univder), dans un communiqué.
Un ancien procureur, actuellement à la tête d’une association de magistrats, Omer Faruk Eminagaoglu, a déposé une plainte devant le parquet d’Ankara et le haut conseil électoral (YSK), réclamant que M. Erdogan soit déchu de son mandat car l’absence, selon lui, d’un diplôme le rend automatiquement inéligible. Celui-ci évoque même l’hypothèse d’une falsification du diplôme pour pouvoir prétendre au poste suprême.
L’autorité électorale a cependant entretenu le doute en rejetant la plainte, dans un pays où le régime de M. Erdogan contrôle l’ensemble des administrations.
Twitter bruissait jeudi de commentaires sur l’affaire, des internautes s’attaquant au dirigeant turc et bravant ainsi les poursuites judiciaires que ses avocats lancent quotidiennement pour « insulte » contre journalistes, intellectuels ou simples citoyens.
« Cette personne qui a si envie d’enfiler une robe universitaire, la honte!« , a lancé sur Twitter Belgin Güneri sous le mot dièse #diplomasidasahte (#SonDiplomeAussiEstFaux).
Mais nombreux sont aussi ceux qui défendent le « Raïs« , qui incarne à leur yeux la grandeur de la Turquie. « Le raïs a donné des cacahuètes pour distraire ses critiques pendant que l’homme combat le monde entier« , a estimé un autre internaute, Fatih Kavalci.