Ile-de-France: la face cachée du passe Navigo à tarif unique

Le 1er septembre entre en vigueur le tarif unique pour les transports en commun en Ile de France. En clair, quels que soient la distance et le jour de la semaine, le prix de l’abonnement sera le mme, que l’on circule de Bastille Chtelet ou de Versailles Marne-la-Valle : 70 par mois. Une bonne nouvelle en apparence, qui en cache cependant quelques mauvaises.

C’est une petite révolution. Depuis le 1er septembre, il est possible de circuler en transports en commun dans toute l’Ile-de-France pour le même prix, quel que soit le lieu de départ et d’arrivée. Pour bien comprendre ce bouleversement, il faut rappeler que, jusqu’à présent, la région parisienne était divisée en 5 zones géographiques, selon un principe simple : plus on voyageait loin, plus on payait cher.

Désormais, donc, changement de logique : tout le monde paie le même tarif, que l’on circule dans Paris intra-muros ou, par exemple, de Fontainebleau à La Défense (1). Et ce quel que soit le jour de la semaine. Seule exception : les titulaires d’un forfait deux zones en dehors de Paris (2-3, 3-4 ou 4-5) pourront conserver l’ancien système, pour éviter une trop forte hausse de leur abonnement.

Selon ses partisans -dont l’écologiste Cécile Duflot, qui avait porté l’idée pendant la campagne des régionales de 2010- le nouveau système a de nombreux avantages. Il est plus simple, ce qui est incontestable. Il est supposé favoriser l’unité régionale en mal d’identité. Il est censé être plus juste pour ceux que les prix de l’immobilier ont poussé à s’installer loin de Paris. Il pourrait également convaincre certains automobilistes de renoncer à leur voiture au profit des transports en commun. Enfin, il va se traduire par un allègement de la facture pour de nombreux usagers. Selon la majorité de gauche du conseil régional, l’économie pour un couple qui effectue chaque jour le trajet entre la grande couronne et Paris sera de 500 euros par an.

Et pourtant, ces arguments ne convainquent pas tout le monde, pour plusieurs raisons :

. Des hausses d’impôts à venir. La polémique principale porte sur le coût du dispositif. Jusqu’alors, le prix des abonnements mensuels au Passe Navigo s’échelonnaient de 67,10 euros pour les zones 1-2 à 113,20 euros pour les zones 1-5. Si l’on avait voulu que l’opération soit neutre financièrement, il aurait fallu fixer le prix du nouveau Passe à 91 euros. Electoralisme ? Volonté de favoriser les transports en commun ? Un peu des deux ? Quoi qu’il en soit, la majorité de gauche a opté pour un tarif beaucoup plus bas : 70 € seulement.

Politiquement, on voit bien l’intérêt de l’opération, surtout à quelques mois des élections régionales de décembre. Mais elle aura pour conséquence un manque à gagner annuel de 400 millions d’euros. Pas de panique, assure le président socialiste sortant, Jean-Paul Huchon. Celui-ci sera compensé à hauteur de 210 millions par les impôts des entreprises -lesquels se répercutent en général sur les clients- , via une augmentation du « versement transports ». Le solde? 80 millions devraient provenir de la hausse des abonnés, séduits par la nouvelle tarification. Quant aux 110 millions restants, ils seront financés par la Région grâce à des « redéploiements », dont le détail n’a pas été précisé.

Une présentation qui fait hurler l’opposition. Selon elle, non seulement le coût réel de l’opération est sous-évalué, mais les redéploiements promis n’auront pas lieu et, au final, les Franciliens verront eux aussi leurs impôts augmenter. Moyennant quoi Valérie Pécresse, chef de file des Républicains aux Régionales, s’est engagée à maintenir le Passe Navigo à tarif unique, avec d’autres pistes de financement qui ne devraient pas déplaire à son électorat : « Je supprimerai les 75% de réduction aux étrangers en situation irrégulière et je lutterai sans merci contre la fraude dans les transports, je déménagerai les locaux du conseil régional en banlieue et réduirai le train de vie de la région » a-t-elle notamment déclaré en mai dernier au journal 20 minutes. Du côté de la majorité, on indique que le prix de l’abonnement va évoluer à la hausse (+ 2% ou + 3% par an) dans les années qui viennent. Autrement dit, après les élections.

. Un manque d’argent pour les transports en commun. Etait-il raisonnable de subventionner encore davantage les bus et les métros franciliens, dont le financement repose déjà à 60% sur l’impôt ? Pas sûr. Certes, il n’est pas anormal que le système de transports publics soit subventionné. D’une part, les dépenses sont trop lourdes pour être financées uniquement par les usagers. D’autre part, c’est un moyen légitime de rétablir un certain équilibre avec la voiture, dont les coûts ne sont pas tous supportés par les automobilistes (la pollution, les accidents, le bruit, etc). Il n’empêche : toutes choses égales par ailleurs, on se prive bel et bien de plusieurs centaines millions par an qui auraient pu -dû?- être consacrées à l’amélioration du réseau actuel. C’est notamment l’analyse de la fédération nationale des associations des usagers des transports (FNAUT) : « La FNAUT refuse de « réclamer plus pour moins cher » : le transport collectif a un coût, qui doit être pris en charge par les usagers, les entreprises et les contribuables. Fausse bonne idée, la gratuité pour tous est financée inévitablement au détriment des investissements et de l’offre ; il en est de même du tarif unique du passe Navigo francilien, qui pénalisera à terme les usagers. »

. Une efficacité incertaine. Les plus grands bénéficiaires de la mesure sont évidemment les habitants de la grande couronne puisque le prix d’un Passe Navigo annuel cinq zones passera de 1170,40 € à 840 euros. Avec, à la clé, une économie annuelle de 330 euros, soit 27,50 € par mois. Une économie substantielle, mais insuffisante, quand on sait qu’un automobiliste dépense, en moyenne, 5881 euros par an, soit 490 euros par mois, et encore, pour une modeste Renault Clio essence (2). 27,50 € sur 490 €, « ce n’est pas suffisant pour faire basculer vers les transports en commun ceux qui ont déjà acheté leur voiture », souligne en substance dans Les EchosMarc Ivaldi, chercheur à la Toulouse School of Economics.

. Un encouragement à l’étalement urbain. Dernière critique: en diminuant le coût du transport sur longue distance, ce tarif unique pourrait encourager certaines familles à quitter leur appartement situé à Paris ou en proche banlieue pour s’installer dans une maison à la campagne. Autrement dit, il pourrait favoriser la destruction d’espaces naturels et ce que l’on appelle l’étalement urbain. Un phénomène sans doute marginal, mais réel. Et un étrange paradoxe pour une mesure défendue par des écologistes.

(1) Un tarif social de 17 euros par mois est également prévu pour certains publics : chômeurs, bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat, etc.

(2) Source : Automobile Club association, enquête juin 2015.