En publiant les trois quart du traité de libre-échange Tafta en cours de négociation entre l’Europe et les Etats-Unis, Greenpeace montre surtout à quel point il n’est pas près de voir le jour.
Après OffshoreLeaks, LuxLeaks et les Panama papers, le traité de libre-échange Tafta entre l’Europe et les Etats-Unis est à son tour l’objet de fuites, orchestrées, cette fois-ci par Greenpeace. Les 248 pages de documents confidentiels publiées présentent une photographie des négociations à l’issue de leur douzième round, qui avait lieu du22 au 26 février à Bruxelles. Une révélation exceptionnelle, puisque les deux parties gardent secret ce texte élaboré conjointement, dans lequel de nombreuses paragraphes placés entre crochet sont encore en discussion.
Le principe de précaution sur la sellette
Première inquiétude de Greenpeace, les treize chapitres du traité qui viennent d’être publiés ne mentionnent à aucun moment le principe de précaution, pourtant inscrit dans la législation européenne pour éviter qu’un produit potentiellement dangereux pour la santé soit mis sur le marché. Au contraire, les Américains souhaiteraient plutôt adopter une démarche « basée sur le risque », affirme Greenpeace.
Dans le chapitre concernant la coopération réglementaire, les négociateurs américains demandent ainsi qu’avant de mettre en place une nouvelle norme, « toutes les alternatives soient prises en compte ». Ils regrettent que la régulation « soit devenue inefficace pour protéger la santé, le bien-être et la sécurité, tout en étant plus contraignante que nécessaire pour atteindre son objectif ». La régulation doit prendre en compte « les changements technologiques » et les « progrès scientifiques ». Le principe d’innovation contre le principe de précaution, un discours que l’on peut entendre également chez certains politiques français.
La commissaire européenne au Commerce Cecilia Malmström a vivement répliqué à ses accusations en affirmant que le principe de précaution avait réintroduit au cours du treizième round de négociation fin avril à New York. Mais aussi en rappelant que le texte n’était pas encore abouti, sur ce chapitre comme sur d’autres. Toujours est-il que ce principe très européen semble difficile à faire admettre outre-Atlantique.
Chacun veut faire valoir ses normes
« L’UE et les Etats-Unis vont vers une reconnaissance mutuelle de leurs standards, ouvrant la voie à une course vers le bas des multinationales en matière d’environnement et de santé publique », affirme Jorgo Riss, responsable de Greenpeace à Bruxelles cité par Le Monde. Dans un long paragraphe entre crochets du chapitre sur la coopération réglementaire, les négociateurs européens proposent en effet « une reconnaissance mutuelle des décisions réglementaires dans le cas où elles ont des résultats équivalents pour les politiques publiques ».
Problème: si les Etats-Unis estiment que leur réglementation permettant de produire du boeuf aux hormones n’est pas plus mauvaise pour la santé que celle qui l’interdit en Europe, plus moyen de les empêcher de le commercialiser. « Il était illusoire de croire que les Américains voulaient prendre nos normes à nous », assène Thomas Porcher, auteur de Tafta, l’accord du plus fort (Max Milo).
Cecilia Malmström n’en démord pourtant pas dans sa réponse au TTIP-Leaks: « L’affaiblissement des normes ne passera pas par moi », assure-t-elle. Dans ce texte, l’Europe propose aussi de mettre en place un organisme de coopération réglementaire pour parvenir à des normes communes. »On peut imaginer une reconnaissance commune de la norme la mieux disante », estime également le député européen LR Franck Proust. En l’état, rien ne l’interdit encore, mais il sera bien difficile d’évaluer quelle est finalement la meilleure norme, si dans les cas litigieux chacun campe sur ses positions.
Des Américains plutôt… protectionnistes
Selon Le Monde, il ressort de ces 248 pages que les Européens ont fait plus de propositions d’ouverture que les Américains, tandis que ceux ceux-ci sont plutôt sur la défensive. « Les Européens veulent libéraliser leurs marché publics, alors qu’ils sont fermés dans tous les autres pays du monde », s’étonne le député européen EELV Yannick Jadot, vice-président de la commission du commerce international, l’un des rares à avoir accès à la plupart des documents concernant le traité. « Aux Etats-Unis, pas question de remettre en cause le Buy American Act! ». Cette loi de 1933 impose en effet au gouvernement américain de n’acheter que des biens produits sur son propre sol. Le libre échange n’a pas la cote en période électorale.
Si l’on considère que ces documents sont les parties les plus avancées du traité, comme l’explique Greenpeace, on peut mesurer le chemin qui lui reste à parcourir. Le sujet des tribunaux d’arbitrage privé, qui permettent à une entreprise de poursuivre en justice un Etat, reste notamment une simple ébauche, a remarqué Le Monde. Quant aux chapitres encore moins avancés, auxquels Greenpeace n’a pas eu accès, ils concernent la protection des investissements, les droits de propriété intellectuelle, ou encore le développement durable. Des sujets lourds de contentieux.
« Il était utopique de finir avant la fin de l’année. Ce sont des sujets trop techniques pour bâcler les négociations », reconnaît le député européen Les Républicains Franck Proust. Si Angela Merkel réitère sa volonté de conclure le traité, malgré l’opposition de son opinion publique, François Hollande, le 1er mai, prévenait encore que la France dirait « non » si son agriculture était mise en danger. Greenpeace, comme EELV, demande purement et simplement l’arrêt des négociations. Est-ce réellement envisageable? « Dire ‘non’ serait un aveu d’échec trop fort », soupçonne Thomas Porcher. « Ils vont le remettre dans les tiroirs et le ressortiront un jour ou l’autre. » En avril, Cecilia Malmström estimait possible de conclure avant fin 2016, en cas de « bon accord » seulement. Sinon, elle était prête à faire une pause.