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Dans mon post précédent, je vous suggérais d’observer le mode de pouvoir que développe votre chef – pour ceux qui en ont un. J’aurais pu ajouter, à l’adresse de ces mêmes chefs : et vous, comment fonctionnez-vous ? quels sont vos moteurs ? vous « marchez » à quoi ?
Certains répondront que « de toute façon ça n’intervient pas dans ma façon de gérer mon équipe ». Mais refuser de se poser cette question, c’est croire que l’être humain est pure rationalité, et donc poser que la dimension de plaisir est mineure, voire inexistante dans l’exercice du pouvoir. C’est penser que l’être humain est mû par le seul l’intérêt collectif, jamais par des enjeux personnels et des émotions individuelles. Une illusion, rassurante sans doute, mais une illusion quand même : aucun chef ne le devient malgré lui. S’il occupe un poste de responsabilité, c’est aussi, qu’il l’admette ou pas, parce qu’il y trouve quelque chose qui s’apparente à du plaisir.
Reste à savoir lequel – lesquels plutôt. Reprenons donc les cinq dimensions de plaisir évoquées dans le dernier post. La plupart du temps, elles coexistent de façon globale chez un même individu. Mais pas forcément tout le temps. Pas forcément dans les mêmes proportions. Pas forcément non plus tout court !
Les cinq dimensions du plaisir
Le plaisir de la reconnaissance ? Il est effectivement un moteur très puissant pour un chef : souvent, le fait que son travail ait de la valeur aux yeux des autres (ses subordonnés ou son n+1) lui suffit. Mais cela peut aussi donner un tyran dont le plaisir réside dans la puissance même, qui jouit du seul pouvoir donner un ordre, fût-il débile. Pour autant, j’ai connu des chefs qui n’avaient nul besoin de cela pour éprouver de la satisfaction. Réaliser correctement (à leurs yeux en tout cas) leur travail suffisait à leur bonheur – bonheur qu’ils transmettaient d’ailleurs régulièrement autour d’eux.
Le plaisir de l’argent ? Il constitue le mode de reconnaissance classique dans une entreprise. Voire le seul – on peut s’en satisfaire ou le déplorer. Mais là encore j’ai connu des chefs qui ne plaçaient pas du tout leur ego sur ce plan là et ce, pour des raisons diverses – désir de justice sociale, aisance personnelle, refus d’être privilégié ou autres.
Le plaisir de la réalisation ? Oui bien sûr, avoir la capacité de décider, de peser sur les choses, de « faire avancer le schmilblick », tout cela provoque sans doute du plaisir. Mais gare au château de sable bâti juste pour satisfaire le plaisir de celui qui le fait construire. En d’autres termes, attention au sentiment de toute puissance…
Le plaisir de motiver ses troupes ? Que voilà une belle et noble ambition pour un chef : amener ses collaborateurs à travailler autant pour eux-mêmes que pour lui. Encore faut-il que cela ne débouche pas sur une forme de manipulation… Or, de la motivation désintéressée à la pression discrète, il n’y a parfois pas très loin.
De l’angoisse du vide
J’aimerais revenir pour finir sur la dimension la plus délicate du plaisir du pouvoir : celle d’évacuer une angoisse insurmontable. Souvent négligée, cette dimension occupe pourtant une place importante dans la gestion d’une équipe. Combien de chefs se plaignent-ils de ne pas avoir assez de temps pour prendre du recul ? d’être « obligés » de trancher en permanence et de tout décider… tout en déplorant l’absence d’autonomie de leurs collaborateurs ?
Or, dans la réalité, ce sont souvent les mêmes qui ne parviennent pas à déléguer. Qui ne supportent pas de lâcher prise. Qui se plaignent de réunionite aigüe mais n’en manquent aucune. Qui regrettent d’y assister, sans pour autant les abréger ou les rendre plus productives. S’agit-il d’incohérence, de manque de lucidité, de bêtise ? J’avancerais ici l’hypothèse suivante : ces chefs-là – et ils sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense – éprouvent une telle angoisse du vide qu’ils ne peuvent s’empêcher de tout contrôle. Car sinon, ils prendraient un risque, celui de s’apercevoir que leurs collaborateurs sont capables de s’affranchir, de s’émanciper de leur tutelle et de leur volonté de contrôle. Bref, ces chefs pourraient se rendre compte qu’ils ne sont peut-être pas aussi indispensables qu’ils le croient…