Dsormais, chaque vnement merge sa version complotiste. Pour lutter contre ce phnomne, le gouvernement a lanc une grande campagne de communication. Pour notre contributrice, on ne peut que se rjouir de cette initiative de Matignon. Mais elle s’interroge sur la manire.
Le 4 février dernier, le gouvernement a décidé de lancer une campagne de sensibilisation contre les théories du complot, plus particulièrement contre le conspirationnisme sur Internet. Pour cela, il a engagé un youtubeur populaire: Kevin Razy. À travers ce choix, le gouvernement souhaite s’adresser à une population plutôt jeune, et on ne peut que se réjouir qu’il s’attelle enfin à cette tâche, mais le fait-il de la bonne façon?
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« Discussion entre Razy » est un format que le vidéaste a utilisé de nombreuses fois sur sa chaîne afin d’aborder des sujets plutôt politiques, comme l’abstentionnisme ou la polémique autour de Nadine Morano. À chaque fois, l’acteur incarne deux personnages qui ont un point de vue différent, l’un d’entre eux étant reconnaissable par son « accent de banlieue » tandis que le second parle posément, dans un français plus académique, tout en prenant un air docte. Et devinez lequel d’entre eux, dans la vidéo du gouvernement, croit aux théories du complot tandis que l’autre lui donne des explications rationnelles? Bingo! Le jeune des banlieues est le plus crédule.
Alors, Kevin Razy cherche-t-il à se rapprocher de l’image qu’il se fait de « la jeunesse » en singeant cette manière de parler (ou plutôt à imiter ses pairs puisqu’on peut raisonnablement affirmer que Kevin Razy fait encore partie de la jeunesse)? Et cette imitation a-t-elle la même valeur lorsqu’un youtubeur l’utilise pour faire rire et lorsque cette caricature est reprise par le gouvernement pour sensibiliser à une cause?
« Les jeunes de banlieue plus manipulables? »
Car voici le premier faux-pas du gouvernement: si Kevin Razy n’avait peut-être pas l’intention de caricaturer la classe populaire des banlieues, l’effet que produit sa vidéo n’en est pas moindre. En imitant un langage marqué socialement, Kevin Razy désigne de fait une partie de la population. En mettant le personnage « de banlieue » en position de recevoir des leçons, sa vidéo stigmatise clairement une catégorie de personnes qui serait plus encline à croire en ces théories, et donc plus manipulable.
Le titre donné à la campagne, en cela, est également malheureux: « On te manipule ». Est-ce la meilleure manière de procéder que de vouloir sensibiliser sa cible (ici, les ados) en la caricaturant, et en stigmatisant? Car le complotisme adolescent n’est certainement pas le propre des jeunes de quartiers, qui manqueraient de culture et d’esprit critique, mais plutôt le résultat d’une volonté de critique de la part d’adolescents -tous les adolescents- qui manquent de méthode. Et le gouvernement aurait gagné, me semble-t-il, à plus insister sur les méthodes critiques à adopter plutôt que sur le caractère manipulable d’une catégorie de la population. En cela, « Les 7 commandements de la théorie du complot » ne sont pas mauvais, mais bien insuffisants. Les quelques liens en fin de site embrouillent plus l’esprit qu’autre chose, on trouve ainsi: un lien qui semble destiné aux adultes souhaitant éduquer les ado à l’esprit critique, un lien ciblé sur les théories entourant les attentats du 13 novembre, un résumé d’entretien du SIG (Service d’Information du Gouvernement), sans parler du graphique ultra-simplificateur.
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Avec ces liens, on perd la cible, on perd le but: pourquoi se recentrer sur un exemple parmi tant d’autres? La cible est-elle les ado ou les adultes? Tout semble mélangé, alors que les outils devraient être adaptés au public visé, et que les supports de travail selon le public devraient être séparés.
Kevin Razy est-il le plus compétent pour en parler?
Enfin, si l’on doit revenir sur la polémique à la suite de la découverte d’une vidéo du Cercle Des Volontaires, une chaîne en lien avec la sphère conspirationniste dans laquelle Kevin Razy apparaît, on peut se questionner sur la pertinence du choix de l’acteur comme figure phare de cette campagne. Sans remettre en question la sincérité de Kevin Razy, qui s’est expliqué sur sa page Facebook, était-il le plus compétent sur le sujet? Car lorsqu’on le voit apparaître dans cette vidéo sans s’alerter des propos de ses camarades ni du vocabulaire utilisé, on peut légitimement se le demander. Sans exiger de lui qu’il soit expert en la matière, détecter les éléments de langage utilisés par les conspirationnistes, tels que la « réinformation », me semble être la base lorsque l’on souhaite démanteler ces thèses. Or Kevin Razy, j’espère par pure ignorance, utilise ce terme à de nombreuses reprises dans la vidéo.
Par ailleurs, d’autres personnes, sur Internet, et même sur YouTube fournissent un travail de qualité pour former son esprit critique. C’est le cas d’émissions comme La Tronche en Biais qui donne les huit paliers permettant de vérifier la vraisemblance d’une information, ou encore Hygiène Mentale, chaîne reliée à l’Observatoire Zététique, qui explore les mécanismes de la désinformation sur Internet.
Dans ces vidéos, on donne de la méthode pour que le public puisse l’appliquer lui-même et ainsi former son esprit critique en apprenant à vérifier des informations. Qu’elles viennent de sites conspirationnistes ou non. Car oui, si Kevin Razy insiste sur le fait qu’il faut faire des « recherches sérieuses » et se baser sur « une source d’information réputée pour son sérieux, sa rigueur et qui n’a a priori aucun intérêt politique, idéologique […] à défendre », les « journalistes sérieux » ou « sources fiables » peuvent aussi se tromper et doivent également être traités avec du recul. Finalement, la vidéo choisie par le gouvernement pour lancer sa campagne est à l’image de cette dernière: peu rigoureuse, stigmatisante, et somme toute, ratée.