Le grand écart du programme économique FN en régions

Le programme conomique du Front national en rgions reste relativement conventionnel. Problme, pour les patrons qui redoutent son arrive au pouvoir en 2017, il est d’autant plus difficile de s’y opposer frontalement.

Un pas en arrière, un pas en avant. Début novembre, Bruno Bonduelle, figure tutélaire du patronat nordiste, lançait un « no pasaran » retentissant face au FN, en passe d’emporter la région. Une référence historique à la Pasionaria, un peu incongrue de la part de ce fervent libéral. Peu après, son neveu Christophe, qu’il a lui-même hissé à la tête du groupe Bonduelle, se fendait d’une lettre contrite à Marine Le Pen, comme cette dernière l’a révélé à L’Express: « La famille Bonduelle que je représente n’est en rien solidaire des propos récemment tenus par Bruno Bonduelle à l’encontre de votre formation politique. »

Remis à sa place, l’aïeul. Bonduelle, groupe mondial aux deux milliards de chiffre d’affaires, a fait le choix de ne pas s’opposer à une potentielle future présidente de région. Selon Le Monde, l’entreprise a été menacée de boycott par des consommateurs, et même des fournisseurs, après la prise de position de son ancien dirigeant. Si le programme économique national du FN est condamné par le patron du Medef Pierre Gattaz et par celui de la CGPME François Asselin, les patrons gardent souvent le silence à l’occasion de ces élections régionales. La Voix du Nord, engagée dans le combat contre Marine Le Pen, reconnaît qu’ils sont peu nombreux à prendre la parole sur le sujet.

Dans le Nord, un FN européen

Et pour cause, il n’entre pas dans les prérogatives de la région de renforcer la TVA sur les produits importés, d’augmenter le salaire minimum de 200 euros, de faire repasser la retraite à 60 ans, ni surtout de « déconstruire l’euro », comme le prévoit le programme du FN datant de 2012. Dans ses documents de campagne pour les élections régionales, Marine Le Pen n’a pas repris ces points les plus contestés par les représentants des patrons, puisqu’ils font augmenter les dépenses publiques et tendent à couper la France de ses partenaires économiques internationaux.

En région, au contraire, le FN joue l’ouverture. Quand Bruno Bonduelle craint pour « l’image de la région vis-à-vis des investisseurs étrangers », Marine Le Pen vante « une région qui rayonnera en France et en Europe. » Quant il met en garde contre « la fermeture des frontières », elle spécule sur un « marché de 100 millions d’habitants dans un rayon de 300 km ». Elle reprend même à son compte le projet de canal Seine – Nord Europe, auquel le FN était auparavant opposé. En Normandie, c’est la tête de file FN Nicolas Bay qui affirme « nous ne sommes pas opposés à la mondialisation », rapporte L’Opinion. Pas vraiment les signes d’une volonté de fermeture des frontières. Ni d’une sortie de l’Union européenne.

Le « patriotisme économique régional », du déjà vu?

Quant aux relations avec les entreprises, rien ne laisse entrevoir qu’elles pourraient se dégrader. « Notre région a une culture entrepreneuriale forte dont témoignent de grandes réussites d’entreprises: Bonduelle, Lesaffre, Doublet ou encore Roquette », explique le plan d’action régional de Marine Le Pen. Altereco+, site d’info classé à gauche, trouve même son programme « conventionnel ». En Auvergne-Rhône-Alpes le candidat FN Christophe Boudot a promis que « le Front national était dans une optique de développement de l’investissement », peu avant d’être reçu par le patron de Michelin. En Paca, Marion Maréchal-Le Pen veut « appuyer les TPE/PME-PMI » en créant un fonds doté de 100 millions d’euros chaque année. Il est également au programme en Nord-Pas-de-Calais-Picardie.

Le point le moins consensuel du programme du FN pour les régions est le « patriotisme régional ». Il s’agit de « donner la priorité aux entreprises locales par l’utilisation effective de critères environnementaux et sociaux tel que la référence au salaire minimum dans les marchés publics régionaux », explique le document du FN en Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Un concept également décliné sur le plan national. En Paca, Marion Maréchal-Le Pen déplore que « l’Union européenne nous l’interdise ». Il s’agit effectivement de fausser le libre jeu de la concurrence, un des principes fondateurs de l’UE.

« Une technique de camelot »

« Je ne sais par si les entreprises régionales sont privilégiées, mais elles remportent déjà 80% des appels d’offre de la région en dessous de 100 000 euros », assure à L’Express Grégoire Mulliez, dirigeant de la startup Fingow basée près de Lille. « Ce n’est qu’au dessus de 200 000 euros que les règles européennes s’appliquent », précise-t-il. Ce soutien de Pierre de Saintignon, le candidat socialiste éliminé au premier tour, voit dans le programme économique de Marine Le Pen « une technique de camelot ». Lui qui craint que celle-ci, une fois élue, déserte la région pour se consacrer à son objectif national reconnaît pourtant que « les milieux économiques ne veulent pas prendre parti ». D’autant que pour l’instant, le FN fait ce qu’il peut pour les rassurer.

Prendre la tête d’une région, n’est-ce pas l’occasion pour un parti considéré comme économiquement peu crédible de s’exercer au pragmatisme, sans avoir à chambouler toute l’organisation d’un pays? Marion Maréchal-Le Pen, par exemple ne se gêne pas pour abonder son fonds de soutien aux PME avec « les colossaux fonds européens ». Comment imagine-t-elle s’en priver après 2017?