L’incroyable succès de Donald dans la course à l’investiture républicaine interroge les médias, après les avoir surpris. Il donne lieu à un vif débat sur leur complicité volontaire ou involontaire à la popularité inattendue du candidat.
Avec Donald Trump, « nous, les médias, nous avons merdé », se lamente l’éditorialiste Nicholas Kristof, dans le New York Times. Barack Obama semble partager cet avis: « Bien faire son travail, c’est faire un peu plus que tendre le micro à quelqu’un ». Profitant d’une cérémonie de remise de prix journalistiques, lundi, le président américain a sermonné la presse et l’a exhortée à dénoncer les candidats à la présidentielle de 2016 qui « mentent haut et fort » et mènent des campagnes « échappant à toute raison ». Dans son viseur, Trump, évidemment.
Après avoir longtemps sous-estimé le novice en politique, les médias américains, sonnés par le succès insolent du candidat populiste, s’interrogent sur leur part de responsabilité dans son essor. Un débat qui ressemble à celui soulevé en son temps en France par la progression du Front national de Marine Le Pen.
« J’arrive à l’un de ces shows et l’audience triple »
Le phénomène Donald Trump a surgi en pleine crise des médias traditionnels. Dans leur course désespérée à la recherche de l’audience perdue, la presse a perdu toute mesure en relayant toutes les provocations du trublion, accusent plusieurs chroniqueurs. « Les médias ont besoin de Trump comme un accro au crack a besoin de sa dose », confiait ainsi une ex-présentatrice de télévision à Nicholas Kristof .
Donald Trump garantit audience et ‘clics’, ce dont il se gargarise d’ailleurs: « J’arrive à l’un de ces shows et l’audience double, triple », jubile-t-il dans les colonnes du magazine Time. Un afflux de téléspectateurs salvateur pour CNN, dont le modèle s’essouffle, mais qui a vu son audience bondir de 170% en prime time au cours de l’année écoulée.
Donald Trump a bénéficié en moyenne de 75% de la couverture de la course aux primaires républicaines par les chaînes câblées, soulignait en février la National Review: « Deux minutes après la fin du dernier débat républicain, dénonce le magazine conservateur mais néanmoins hostile au milliardaire, CNN a accordé à Trump huit minutes d’interview complaisante. Puis, à peine une demi-heure plus tard, une nouvelle interview de dix minutes. » S’appuyant sur une étude du cabinet spécialisé mediaQuant, le New York Times évalue la couverture médiatique dont a bénéficié le candidat à l’équivalent de près de 1,9 milliard de dollars de publicité gratuite.
Fox News résiste !
Plus grave, Donald Trump profite de sa bonne fortune et de la position de faiblesse de la presse pour faire baisser le niveau d’exigence des médias, déplore Jim Rutenberg, le médiateur du New York Times. Ce dernier constate avec amertume que l’une des rares chaînes de télévision à tenir tête au candidat est la très conservatrice Fox News.
La chaîne a refusé de céder à la demande de remplacer la journaliste Megyn Kelly comme modératrice des débats des primaires après un précédent débat houleux. ABC News a, en revanche, cédé à la pression du magnat qui refusait la présence d’un syndicaliste lors d’un débat. Pour autant, nombre de journalistes n’ont eu de cesse de vérifier les assertions de Donald Trump, de démentir si nécessaire, d’enquêter sur son passé d’homme d’affaires et ses échecs professionnels… Sans que cela ne freine sa progression.
Tous les observateurs ne partagent pas le diagnostic autocritique des médias. D’abord, Donald Trump doit son essor à son habileté à tirer profit de son exposition, y compris lorsque le traitement qui lui est accordé est négatif. Ensuite, le milliardaire était déjà l’auteur d’une douzaine de best-sellers lors du lancement de sa campagne, souligne Politico, mais aussi la vedette d’une émission de télé-réalité, The Apprentice, ce qui lui a permis de maîtriser la « grammaire des médias ». Plus de 90% des Américains connaissaient son nom lorsqu’il a entamé la course à la Maison Blanche.
Trump super star sur Twitter
A côté de sa maîtrise des shows télévisés, Donald Trump, a su profiter de l’engouement de ses concitoyens pour les réseaux sociaux: plus de 7,3 millions d’abonnés suivent ses quelque 20 messages quotidiens sur son fil Twitter. « J’adore Twitter. C’est comme posséder son propre journal, sans les pertes », avait-il ironisé de façon prémonitoire en 2012:
Il n’y a pas lieu de reprocher aux chaines d’infos d’avoir suivi en continu les meetings de Donald Trump, estime l’éditorialiste Eugene Robinson dans le Washington Post. Les impressionnantes foules rassemblées par Donald Trump méritaient qu’on s’y intéresse. Surtout, argue l’éditorialiste, « prétendre que les médias mainstream ont servi la cause de Donald Trump, c’est ignorer la déplorable opinion de la base républicaine pour ces médias ». Le succès de Donald Trump, selon lui, démontre, à l’inverse, le faible pouvoir des médias.
Les médias ont sous-estimé la souffrance de la classe populaire
Si erreur des médias, il y a, répond en écho Nicholas Kristof, c’est d’avoir sous-estimé la souffrance de la classe populaire américaine et donc sous-évalué la résonance du message que Donald Trump a su leur adresser. « Nous passons trop de temps avec les sénateurs, pas assez avec les chômeurs », explique-t-il. « Blâmer la presse pour l’essor de Trump, affirme Eugène Robinson n’est qu’une façon de plus d’ignorer les électeurs qui en ont fait leur favori. »
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Les termes du débat américain évoquent ceux qui ont accompagné la progression, certes moins fulgurante, de Marine le Pen en France. Ainsi, à l’automne 2014, un décompte du Lab montrait qu’en un an, Marine Le Pen avait été la personnalité la plus invitée des matinales télés et radios, suivie de près par Florian Philippot. Un an plus tard, L’Argus de la presse dressait le même constat.
Tous les deux, comme Donald Trump, sont des surdoués de la communication politique. Ils ont su capter et exploiter le malaise des électeurs en temps de crise. En France aussi, nombre d’observateurs estiment que le « micro ouvert » tendu à la dirigeante du Front national a contribué à dédiaboliser, à banaliser l’image du parti d’extrême droite. Combiné à un certain nombre d’autres facteurs, cette exposition, assure le politiste Alexandre Dézé interrogé par Libération, « a contribué à produire un déplacement des normes du dicible et de l’indicible, de l’acceptable et de l’inacceptable, et ce déplacement a profité au FN sans qu’il ait eu besoin de changer l’essentiel de son discours ou de son programme. »
C’est peut-être la principale différence avec ce qui se produit outre-Atlantique. A ce stade, les adversaires démocrates de Donald Trump ne se sont pas laissés emporter par ce « déplacement des normes » comme l’ont été des politiques français de tous bords.