Dans le cadre d’une transmission d’entreprise, il arrive parfois qu’une telle situation mette en exergue les traits les plus reculs de la personnalit cache du partenaire traditionnel et fidle de tout chef d’entreprise.
Après les cédants, les repreneurs, les amis du repreneur, les banquiers… et plus récemment les avocats, il n’eut pas été envisageable de ne pas y inclure également mes très chers confrères, les experts-comptables.
Bien entendu, et comme il est d’usage : « toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé… pourrait bien ne pas être entièrement fortuite… ».
1. L’Expert en comptabilité : incarné avec brio par Jean-Pierre Marielle dans le célèbre film avec Josiane Balasko et Claude Brasseur « le contrôle fiscal ». « Un bon bilan est un bilan équilibré. Les charges en classe 6 et les produits en classe 7, chaque chose à sa place et les moutons seront bien gardés. Exhaustivité et précision millimétrée sont les deux mamelles de la comptabilité. »
2. Le Fils de Pub : « …Parce que mon client le vaut bien…. On ne va tout de même pas la brader ! … Le luxe à votre portée ! … Cette boîte, elle a tout d’une grande ! … Des comptes transparents sont aussi des comptes qui lavent plus blanc … What did you expect ?… Oui, elle l’a ! … La seule (entreprise) qui vous rapportera de l’argent ! … 100% des repreneurs ont tenté leur chance ! … Mon client n’a pas de pétrole mais il a des idées ! …il a déjà tout inventé, à vous de réinventer tout le reste…Cette boîte : j’adoooore ou encore what else ? ».
J’aurais aimé entendre aussi « Pas besoin d’être riche pour se l’offrir ! » ou encore « une deuxième pour 1 euro de plus ! »
3. L’Esotérique : « Et bien Non, cher Monsieur, on ne fait pas dire aux chiffres ce que l’on veut. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, mais à qui sait les comprendre. Pour cela il faut d’abord être adoubé, puis parcourir un long chemin initiatique. Avoir de la patience, leur parler en employant des formules magiques incantatoires, que nous, les Experts, ne nous transmettons que de vieux Maîtres Jedi à jeune Padawan, les apprivoiser calmement… puis ils daignent s’adresser à vous progressivement. Visiblement, vous en êtes encore loin ! »
4. Le fils spirituel de Saint Thomas : « Tant que je ne l’ai pas vu, je n’en suis pas sûr. Par exemple, le montant que vous déclarez pour votre apport : pas vu, pas d’apport ! Montrez-moi d’abord, je vous croirais peut-être ensuite. Par ailleurs, comme je n’ai jamais vu faire cela, ce n’est tout simplement pas possible ».
5. Son opposé, toujours coté vendeur, le grand optimiste : « Depuis huit mois et le dernier bilan, le chiffre d’affaires de mon client a littéralement explosé. Et je ne vous parle même pas du résultat. A ce niveau, on frise l’exponentiel. Il va donc falloir revoir à la hausse votre dernière proposition de prix… Non, nous n’avons pas fait de situation intermédiaire. Vous pouvez me croire sur parole ! ».
6. Le Timoré, (il y en a aussi dans toutes les professions) : « Non. Cela n’est pas possible. Il faut de toutes les façons que je vérifie dans la documentation. Les lois changent tout le temps. Loi de finance, celle rectificative, parfois rétroactive… Jamais je ne conseillerai à mon client de prendre de tels risques. Un crédit vendeur, un complément de prix ? Jamais, au grand jamais ! Vous n’y pensez pas, cher confrère… On sait très bien que vous ne l’honorerez jamais. Du cash et tout de suite, sinon rien ! »,
7. Le prestidigitateur : « Bien sûr, en apparence cette société n’a jamais gagné d’argent. Mais c’est parce que vous ne regardez pas où il faut. Par exemple, l’année dernière, en apparence toujours, on pourrait croire à une perte importante, mais si on n’avait pas eu un gros client qui a déposé son bilan et n’a donc pas payé, si on enlève les coûts salariaux des sureffectifs, la perte due au procès XX, si on considère que la crise est exceptionnelle… vous voyez bien que cela devient bénéficiaire, et même très fortement bénéficiaire. » Et si on trouvait un repreneur qui rasait gratis ?
8. Sa variante, l’Hypnotiseur : « Regardez bien ces chiffres, faites un mouvement lent avec vos yeux. Vous entendez la douce mélodie ? Laissez-vous aller, lentement… vous entendez ma voix ? Bon maintenant, revenons au moment où vous regardiez le bilan. Le résultat n’est pas négatif. Il est positif, même fortement positif. La trésorerie n’est pas au passif, elle est à l’actif. Vous la voyez maintenant. Elle gonfle, elle gonfle, elle en vient à déborder… A trois, vous allez vous réveiller et nous en offrir un très bon prix ».
9. Le Flatteur : « Mon client est un client de très longue date de notre cabinet. Son père était déjà client de mon père. Et le père de son père… C’est un très bon client. Son entreprise est très belle, vraiment très belle, incomparable. Il y a consacré toute sa vie. Comme le reste de sa famille depuis des générations. Elle présente toutes les sécurités et les perspectives incroyables pour un repreneur. Comme je suis un Expert et qu’il a une confiance totale en moi, que je lui ai dit qu’elle valait cher, il me croit. Pas vous ? »
10. Le Bon vivant : » Bon, on va en conclure l’accord sur ce dernier point et on va aller déjeuner pour fêter cela. Je vais en profiter pour vous faire connaître un lieu magique. Ma dernière petite cantine. Un client à moi. Certes, ce n’est pas du plus léger, ni du végétarien, mais que du frais, du fait maison et de l’excellent. Le tout arrosé de vins magnifiques de petits propriétaires du coin. Oui, des clients aussi… »
11. Le Pro : « Quand un entrepreneur veut vendre, il faut lui trouver le repreneur à qui il aurait toujours eu envie de vendre. On met la société au bon prix. Un prix correct pour lui mais raisonnable pour le repreneur. On s’adapte et l’affaire se conclue rapidement ».
12. Le Philosophe (il y en a aussi dans toutes les catégories) : « Vendre ou ne pas vendre ? Telle est la question! ».
13. Le Grand évaluateur : « Nous avons depuis longtemps développé nos propres méthodes d’évaluation des entreprises. Une équipe d’Experts planche en permanence sur le sujet et nous apporte le fruit de leurs cogitations intenses. De par notre grande expérience, nous avons élevé l’évaluation au rang de grand Art. Ebit, Rex, goodwill, badwill, fonds propres, rente abrégée… vous mélangez savamment tout cela et saupoudrez de coefficients bien choisis. Laissez mijoter plusieurs jours à feu doux. Surveillez l’ébullition et rajoutez un peu de bons pourcentages. Pas trop. Juste ce qu’il faut pour continuer à frémir. Complétez souvent avec de belles perspectives, des nouvelles opportunités inexploitées, l’apport d’un nouveau client, d’un nouveau contrat, un soupçon d’analyse de la valeur… Goûtez de temps en temps. Rehaussez parfois avec de nouveaux ratios. Ajoutez une légère touche de couleur… Apprêtez le contenant. Peaufinez les décors et servez avec la sauce divine… ». Peut-être un frère du Bon vivant ?
Je sais bien que ceux qui m’ont croisé en négociation ne pourront pas s’empêcher de penser à me situer dans une de ces caricatures. Ou peut-être un peu de toutes ces caricatures. Cela dépend des personnalités de chacun, mais aussi peut-être un peu des circonstances. Non ?